Présentation - Le très intéressant "Oedipe explique l'énigme du Sphinx"(1808 et 1827), un sujet mythologique rarement traité avant Ingres, sert de point d’appui pour aborder l’œuvre immense du génial artiste, enfant prodige, admirateur de Raphaël, qui a marqué l'histoire de la peinture. Par-delà son appartenance au mouvement néoclassique qui parfois ne le reconnaît pas, souvent mis en opposition au romantisme et à Delacroix, sa production artistique est si riche et variée qu’il apparaît comme inclassable. Maître charismatique auprès de ses élèves, de nombreux artistes, parmi lesquels Edgar Degas et Pierre-Auguste Renoir dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis Henri Matisse et Pablo Picasso au XXe siècle, se sont réclamés de son œuvre. Nombre de ses toiles sont mondialement connues (ses nus féminins comme la Grande Odalisque, le Bain Turc, ou ses portraits de la haute société de l'époque…) et sont réinterprétées encore aujourd’hui. Maryline Maubert-Lecocq -------------------------------------------------------------------------------------------------- Compte-rendu - Jean-Auguste-Dominique INGRES (1780-1867). Enigme au salon Conférence donnée par Maryline MAUBERT-LECOCQ* Le 7 décembre 2024, à la salle paroissiale de l'église Saint-Patrice à Bayeux Notre conférencière précise, tout d'abord, qu'un tableau sert de levier à l'artiste et son exposition au Salon officiel de peinture, qui se tient au Carré du Louvre et se termine par le remise des prix, est incontournable pour sa renommée. Cette indication lui permet d'évoquer le scandale au salon de 1827 où sont exposés La mort de Sardanapale d'Eugêne DELACROIX, tableau de grand format, représentant une scène de carnage, aux corps emmêlés, qui va aussi choquer par sa couleur à dominante rouge, évoquant le sang; et le tableau d'INGRES intitulé L'Apothéose d'Homère. Mais c'est le tableau d'Oedipe, peint en 1808, agrandi en 1825, exposé lui aussi au salon de 1827, qui va retenir toute son attention. Afin de mieux comprendre ce tableau, l'oratrice tient à rappeler qu' INGRES, né à Mautauban en 1780, a traversé un siècle tourmenté (le 19e) et, de ce fait, s'inscrit entre deux écoles : d'une part, le style Rococo, dominant le 18e siècle, représentatif des scènes bucoliques (BOUCHER, FRAGONARD, WATTEAU) et, d'autre part, le néo-classicisme, avec son chef de file DAVID, maître d'INGRES, dont la peinture manifeste les attentes des révolutionnaires et le retour aux sujets héroïques inspirés de l'Antiquité, comme Le Serment des Horaces de 1885. INGRES excelle dans le violon et le dessin. Dés 1811, il est envoyé à l'Académie des Beaux-Arts de Mautauban, puis vient à Paris où il intégre l'atelier de DAVID, et effectue un premier séjour à Rome. A son retour, en 1824, il connait un certain succès avec Le Voeu de Louis XIII, ouvre un atelier et, en 1835, repart à Rome. Ce n'est qu'à son retour, en 1841, que les commandes affluent, notamment les portraits, comme celui de Monsieur Bertin, "grand bourgeois", traité avec beaucoup de réalisme. INGRES recherche la pureté du dessin, la ligne parfaite. Trois thèmes dominent son oeuvre : les peintures d'histoire (Jupiter, Thétis), les oeuvres religieuses (La vierge adorant l'hostie, 1854) et les portraits de femmes, dans des tonalités trés douces, comme La grande Odalisque, exécutée en 1814, célèbre toile d'une beauté sensuelle, soulignant la souplesse et la grâce du corps, inspirée de la langueur orientale, commandée par Caroline MURAT et conservée au musée du Louvre. Le peintre va cependant se démarquer du néo-classicisme. Son 1er séjour en Italie, en 1806, où il est pensionnaire de la Villa Médicis, lui permet d'admirer RAPHAEL. Il peint La Baigneuse, dite de Valpinçon, nu féminin conservé au musée du Louvre. Revenant au tableau d'Oedipe, peint vingt ans plus tard, l'oratrice en rappelle l'histoire (Oedipe tue son père et épouse sa mère) pour mieux expliquer la représentation picturale. INGRES représente le jeune homme rencontrant la sphinge, de profil, attentif face au monstre agressif, et un 3ème personnage qui prend la fuite. La pose d'Oedipe est inspirée d'une oeuvre de POUSSIN (Les bergers d'Arcadie) et le modelé du corps, éclairé par une lumière dorée, évoque un idéal de beauté (chevelure bouclée, nez grec, courbure du dos). La sphinge, au corps de lionne et poitrine de femme, aux ailes déployées, représente le danger mortel. Cette oeuvre majeure, qui rappelle les différents âges de la vie, notre condition mortelle et la responsabilité de nos actes, sera repris plusieurs fois par le peintre qui, en 1864, en donne une dernière version, inversée, la sphinge dans la pénombre. Ce thème sera repris par Gustave MOREAU et Odilon REDON (courant symboliste), ainsi que par le caricaturiste DAUMIER, les sculpteurs, Francis BACON (courant surréaliste) et fera même l'objet de montages publicitaires. Au 20e siècle, le mythe sera repris dans la littérature, la musique et le cinéma. Il illustrera les ouvrages de FREUD dans ses réflexions sur le complexe d'Oedipe. Conservateur des traditions et novateur par son génie, INGRES reste un grand maître admiré de ses élèves, dont FLANDRIN, mais aussi de RENOIR, PICASSO, MAGRITTE, PICABIA, qui s'inspirent de ses fabuleux portraits féminins, idéal de perfection, comme Le Bain turc, peint en 1863 pour Napoléon III. *Maryline MAUBERT-LECOCQ, guide, conférencière nationale, ancien professeur en histoire des Arts. Françoise DECAUMONT